Inévitablement, un jour ou l’autre, cette question vient pointer le bout de son nez dans notre cheminement ou lors d’une conversation. Et quoi de plus légitime que de se questionner sur ce que l’on fait.
Que l’on soit pratiquant, futur pratiquant ou simplement intéressé par les arts martiaux, personne ne peut affirmer ne jamais s’être posé cette question, ou au moins, l’avoir murmurée… L’Aïkido, efficace ou pas ?
Et bien il est pour ainsi dire impossible de formuler une réponse à cette question, si ce n’est que oui, l’Aïkido est efficace… pour ce qu’il est. Mais il est quoi alors ? On tourne en rond !
Totalement insatisfaisant en termes de réponses, passionnant en termes de perspectives, de réflexions !
Le plus délicat, dans ce genre de débat, n’est pas de donner une réponse. Il s’agit plutôt d’essayer de formuler correctement ‘’LA’’ question, afin de poursuivre de façon dépassionnée, dans la compréhension du sujet qui nous occupe l’esprit. Et même si nous avons tous une idée, une réponse, à cette question, aussi satisfaisante soit-elle, elle ne vaut que pour soit. Mais se peut il qu’il y ait une réponse universelle ?
Pourquoi tant de prudence ? Parce que rien, dans la question traditionnellement posée, ne renvoie l’aïkido à un élément de référence explicite !
Efficace en fonction de quoi, par rapport à quoi, à qui ? Un revolver, un autre art martial, ce qui semble le plus probable. Un art martial traditionnel, moderne, de compétition, face à un boxer, contre des armes, contre plusieurs adversaires, contre un grand, pour une femme, pour se défendre, pour attaquer, vis-à-vis des copains, de moi-même, pour perdre du poids, gagner en souplesse, en force, pour se divertir… ? Quand ce n’est pas le fantasme de l’invincibilité, invincibilité dans ce cas nommée par pudeur, ‘’efficacité’’ !
Fantasme intéressant parce qu’il participe à la démonstration que ce n’est pas tant la discipline elle même qui est essentielle en termes d’efficacité, qui doit être questionnée, que l’intention et les prétentions de celui qui pratique !
Ainsi, résumer et formuler aussi simplement la question de l’efficacité de l’Aïkido, art martial suspecté de complaisance tant son esthétique masque sa complexité, revient à se demander si l’avion est le meilleur moyen de transport pour se déplacer ! Il manque quelque chose, ou à l’inverse, il y a déjà quelque chose de trop.
C’est-à-dire qu’il existe déjà dans la formulation une idée de ce que l’on questionne, en termes de prestations, et qui dépasse largement l’objet lui-même.
Trop de variables, trop d’attentes personnelles sont possibles dans la prise en compte de cette question. C’est bien là toute la difficulté mais aussi toute la richesse de la chose. Et rien d’autre que nos choix ne peut nous inviter à poursuivre ou cesser notre expérience de l’aïkido.
L’aïkido propose une voie qui s’associe à une réalisation individuelle ainsi qu’un investissement personnel, mais ne s’y oppose pas. A chacun sa voie, celle-ci ou une autre.
Tout au long de notre parcours, l’Aïkido nous surprendra par sa diversité, par sa complexité, juste avant d’en percevoir et découvrir sa déconcertante simplicité d’exécution, quand quelques experts le pratiquent avec talent et maîtrise.
Ainsi, questionner l’Aïkido reste légitime tant que nous évitons la confusion entre ce que nous y cherchons et ce que cette discipline nous propose, entre les limites que nous rencontrons et l’inépuisable source de création et de réalisation que d’autres y ont trouvée…!
C’est peut-être à travers cet effort de mise en perspective que chacun pourra alors construire un début de réponse satisfaisante sur ‘’l’efficacité’’ de l’Aïkido, au regard de son expérience, de sa pratique, de son cheminement, de son évolution.
Car à bien y réfléchir, l’efficacité n’est pas le propos de l’Aïkido ! Pas plus que n’importe quelle autre discipline. Les champs de bataille ne se résument plus à des corps à corps aux sabres ou à mains nues. Les forêts ne sont plus infestées de brigands et autres, les combats entre écoles d’arts martiaux n’existent plus. Les briques cassées n’ont jamais évité les coups ni ne les ont rendus, et les plastrons, gants, casques et autres protections, ont fait disparaître ce qui était la raison d’être des arts martiaux, à savoir combattre pour survivre, avec la mort ou l’infirmité comme arbitre.
Bien entendu, le combat de rue est potentiellement là, l’agression tout autant. La pratique d‘un art martial nous permettra suivant notre niveau de nous préserver, peut-être. Mais la question est identique pour toutes les disciplines et cela nous amène invariablement à la question de l’investissement. Qui passe (passerait ?) ses journées à s’entraîner en situation réelle ?? Qui est prêt pour apprendre avec réalisme, à recevoir réellement les coups pour intégrer ses erreurs ? Chercher l’efficacité suppose d’aller au bout de la logique d’efficacité, et plus personne ne le supporterait. Surtout avec et pour développer un esprit de paix !
Aujourd’hui, ce questionnement de l’efficacité naît davantage de notre propre curiosité. De notre désir de comparaison, d’évaluation, une question d’ego, qui nous définit personnellement bien plus que cela ne définit l’aïkido. Ainsi questionner l’efficacité en Aïkido serait se questionner soit même en filigrane, ou s’évaluer vis-à-vis d’un ‘’autre’’… Un autre combat celui-ci, pas forcément plus pacifique, mais moins mortel. L’exigence de perfection et de maîtrise, sans l’engagement, sans effort, sans sueur !!!
Alors, l’aïkido, choix technique, choix esthétique, choix philosophique, efficace pour vivre aujourd’hui ? Sans hésitation, oui ! Mais ne nous y trompons pas. Il n’y a rien d’objectif dans cette position assumée. Quoi que l’on dise et quoi que l’on fasse, il ne peut et ne pourra y avoir qu’un choix, une appropriation, un engagement totalement personnel et subjectif, à la lumière de ce qui a été dit plus haut. Car quoi que l’on fasse, même le meilleur outil du monde ne pourra témoigner de son efficacité qu’en fonction de la main qui le tient, pas plus… !
Eric Ramon